A ce bébé que nous n’aurons jamais – Lettre d’une maman au rêve d’un enfant.

Une lettre à ce petit être que nous n’aurons jamais. Un texte intime, sincère et doux-amer, entre tendresse, humour et vérité. Parce que parfois, l’amour ne suffit pas à faire de la place dans la vraie, même quand le coeur en déborde.
A toi, mon bébé,
Je ne t’ai jamais porté, jamais senti bouger sous mon nombril, mais tu as existé. Dans un coin de mon cœur, dans un recoin secret de mes pensées. Tu es ce rêve doux et un peu fou, celui d’un “nous deux” en version miniature, un « mini-nous ». Un petit être né de notre amour, de nos regards complices, de nos éclats de rire et de nos larmes aussi.
Tu n’existeras jamais. Pas vraiment. Pas sur une échographie, pas dans un berceau, pas entre deux couches et trois tétées. Et pourtant… tu es là. Dans ma tête. Dans mon cœur. Dans ce “et si…” que je murmure parfois sans bruit. Tu es ce rêve qu’on a caressé du bout des doigts sans oser le tenir. Ce petit être qui aurait été toi. Enormément aimé.
Tu sais, j’aurais adoré te porter. Mais vraiment. J’aurais aimé porter la vie dans ce nouveau chapitre de la mienne, dans cette version de moi qui est enfin libre, apaisée, entière, où je ne dois pas m’excuser d’exister. Une grossesse avec ta deuxième maman à mes côtés, attentive, présente, douce. Elle m’aurait massé les pieds (en vrai je ne supporte pas qu’on touche mes pieds), apporté des fraises à 23h sans râler (ou presque), chanté des chansons ridicules à mon ventre et pleuré devant les échographies. Elle aurait su faire de cette grossesse un moment doux, fort, puissant.
Elle m’aurait bordée le soir. Elle m’aurait regardée avec des étoiles dans les yeux, même gonflée comme un ballon. Elle aurait fait rire mon ventre. Elle aurait parlé à mon nombril pendant des heures. Et moi… moi je me serais sentie belle, portée, choyée. Pour la première fois. J’aurais vécu une grossesse très différente des précédentes.
J’aurais voulu qu’on t’élève ensemble. J’aurais voulu voir sa tendresse se poser sur toi. La voir te chanter des comptines en ratant les paroles, te porter contre elle en dansant dans le salon, te lire trois histoires de suite alors qu’il est tard. Elle aurait été formidable. Elle est déjà formidable. Mais elle aurait été une maman incroyable pour toi aussi.
Et moi ? J’aurais remis ma cape de maman. Peut-être un peu usée, un peu déformée par les années, mais toujours solide. J’aurais ri fort, pleuré fort, aimé fort. J’aurais supporté les nuits blanches, les couches débordantes, les coliques et les poussées dentaires parce que tu aurais été à nous. Un petit miracle d’amour dans ce chaos merveilleux qu’est notre vie.
Mais voilà. On ne t’aura pas.
Pas parce qu’on ne voulait pas de toi. Mais parce que parfois, la vie fait ses choix à notre place. On a déjà six enfants à la maison. Oui, six. Une tribu à elle toute seule. Il n’y a plus une seule place libre dans la voiture, sauf peut-être dans le coffre (et je doute que ce soit légal). La maison déborde déjà de chaussettes orphelines, de goûters oubliés et de cris d’enfants. Il n’y a plus une once de silence, à part peut-être entre 1h12 et 1h16 du matin.
Et puis, on a quarante ans. Le genre d’âge où les médecins commencent toutes leurs phrases par “Avec votre âge, il faudra surveiller…” Le genre d’âge où tu te fais un lumbago en te baissant pour ramasser un Playmobil. Le genre d’âge où tu te poses des questions comme “Et si on dormait ?” au lieu de “Et si on faisait un bébé ?”
Et moi, il y a cette histoire. Cette IVG. Ce choix que j’ai fait, que je porte encore, qui m’a changée à jamais. Un choix que je ne regrette pas, mais qui m’a abîmée un peu. Je ne sais pas si j’ai encore le droit, ou la force, de revivre une grossesse. Pas dans mon corps. Pas dans ma tête. Pas maintenant.
Et il y a mon passé. Ce poids invisible. J’ai perdu ma maman trop tôt. Quinze ans. Un âge où on devrait apprendre à se maquiller, pas à survivre. J’ai quitté la maison avant mes dix-huit, j’ai été maman à dix-neuf, et j’ai passé vingt ans à me perdre dans une relation toxique. Vingt ans à essayer de ne pas sombrer. Vingt ans à me battre contre quelqu’un qui aurait dû m’aimer.
Mais depuis bientôt quatre ans, je respire. J’aime. Je vis. Je découvre ce que c’est que d’être moi. Et notre vie, aussi imparfaite soit-elle, est déjà un joyeux bordel qu’on tient à bout de bras. Parfois, on se demande même comment on fait. On rit, on pleure, on oublie les rendez-vous et on mange des coquillettes parce qu’on n’a pas eu le temps ou le courage de faire mieux.
Alors non, tu ne viendras pas. Parce qu’on est fatiguées. Parce que notre lit est trop petit. Parce que nos bras sont déjà pleins. Et parce que malgré tout l’amour qu’on aurait eu pour toi, on choisit de se garder un peu pour nous, pour ceux qu’on a déjà, pour ce qu’on construit encore chaque jour.
Mais sache une chose : tu étais aimé. Follement. Entièrement. Tu n’es pas là, mais tu fais partie de nous. Tu es ce frisson dans un moment de silence. Ce sourire devant un petit body trop mimi. Ce pincement quand on entend un prénom qu’on aurait pu te donner. Tu es le bébé qu’on n’aura jamais, mais que j’aurais tant aimé avoir.
Et si un jour l’univers nous permet de nous retrouver d’une autre manière, je te reconnaîtrai. Tu porteras l’éclat de tout l’amour que j’ai en moi.
Avec tout mon amour,
Ta maman,
(et aussi ta deuxième maman, qui t’aurait tellement aimé elle aussi)
Et toi, as-tu déjà laissé un rêve d’enfant derrière toi ? As-tu eu à faire ce choix difficile ? Tes mots sont les bienvenus, ici on se comprend et on s’écoute sans jugement.