Vie d’une institutrice remplaçante à Bruxelles : entre précarité et adaptation

Le voilà… cet article que vous me demandez souvent mais que je n’avais, jusque là, pas eu le courage ni pris le temps de rédiger. Celui sur mon « formidable » statut d’instit en Belgique. Alors, je ne suis pas entrée dans les détails du fonctionnement parce que, déjà en étant dedans c’est compliqué à comprendre alors bon… mais c’est surtout un article qui te montre à quoi ça ressemble de bosser comme ça. Un « vis-ma-vie ».
Ma vie d’instit’ sans école fixe
… Ou comment j’ai appris à vivre avec une valise à roulettes, un agenda en sueur et … la boule au ventre.
Bienvenue dans les coulisses du métier d’instit… version nomade !
On parle souvent de l’enseignement comme d’un métier passion. Et c’est vrai : il faut en avoir sous le capot pour gérer une classe entière de petits humains pleins d’énergie. Ce dont on parle moins, c’est de ceux qui exercent ce métier… sans classe attitrée.
Oui, oui, ça existe. Et je suis l’une d’eux : une instit sans poste fixe.
On parle aussi du métier d’instit comme d’une vocation. En effet, il faut aimer ça pour se lancer là-dedans. Mais ce dont on parle moins, c’est de la face cachée du métier. Aujourd’hui, je vous emmène dans les coulisses pas très glamour de la vie d’enseignante sans poste fixe, ici, à Bruxelles.
Parce que non, tous les instits n’ont pas leur classe, leurs petites décorations faites maison et leur coin lecture digne de Pinterest. Certains, comme moi, vivent en mode freelance de l’école, sauf que c’est pas pour vendre des formations en ligne. Non, non. C’est pour faire la girouette entre plusieurs écoles, souvent plusieurs fois par mois, sans savoir à l’avance où on va atterrir le lendemain.
Bienvenue dans la peau d’une prof remplaçante à Bruxelles.
Le statut précaire de l’enseignant en Belgique
Dans le merveilleux monde de l’enseignement en Belgique, le Graal, c’est d’avoir une “nomination”. Un mot un peu barbare pour dire : un poste fixe, stable, dans une école qu’on connaît, avec des collègues qu’on commence à apprécier et des enfants qu’on voit grandir toute l’année. (Le nouveau gouvernement va toucher à cette nomination mais ce qui arrive n’est pas mieux).
Mais quand t’as pas ça, tu deviens remplaçante. Remplaçante, volante, instit caméléon, prof bouche-trou… les surnoms sont nombreux, mais la réalité est la même : t’es là pour boucher les trous, n’importe où, n’importe quand. En vrai, on rame. Fort. Longtemps. C’est fatiguant, c’est lassant, désespérant même. L’enseignant volant, c’est celui qu’on appelle au pied levé, souvent au dernier moment, pour combler une absence par-ci, un congé par-là.
Le matin, tu ne sais jamais où tu vas atterrir. Littéralement.
Et comment faire pour accéder à cette nomination ? Rien… attendre… longtemps.
Une semaine dans la peau d’un enseignant pas nommé ? La tournée des écoles.
Un jour à Woluwé, le lendemain à Schaerbeek, puis deux jours à Uccle… et je ne vous parle même pas des appels à 7h du mat’ :
“Bonjour, on a besoin de vous à l’école X dans 45 minutes, c’est possible ?”
« Oui, bien sûr, laissez-moi juste retrouver mes clés, ma dignité et mon café froid. »
Parfois, on me place dans une classe pour une semaine, parfois pour un jour. Et parfois… SURPRISE ! Vous êtes en co-remplacement sur trois écoles en même temps. Une vraie tournée des écoles, sans voiture de société ni loge privée.
Pas de classe à soi, pas de matos, pas de « budget classe », pas de reconnaissance, pas de liberté.
Le plus frustrant ? Ne jamais avoir sa classe, son univers. Pas de projet sur l’année, pas de déco à soi, pas de coin cocooning pour les enfants. Pas ta classe de rêve. À peine le temps de comprendre comment fonctionne la photocopieuse qu’il faut déjà faire ses valises.
Et le matériel ? Bah t’apprends vite à être minimaliste. Tout doit rentrer dans un sac (ou deux… ou trois), que tu trimballes partout comme une escargote pédagogique. Et oublie les belles pédagogies qu’on rêve de mettre en place. Ici, on s’adapte, on fait au mieux. Et surtout, on évite de trop déranger, parce qu’on est juste de passage. Tu arrives dans des classes qui ne fonctionnent pas du tout comme toi tu entends fonctionner, ce ne sont pas tes affaires, tes meubles, ta disposition de classe. Sans compter que tu peux tomber sur toutes les tranches d’âge et donc, si tu es comme moi : acheter non stop du nouveau matériel de ta poche pour tenter de t’approprier un peu les lieux et de kiffer tes journées au boulot un minimum.
Une adaptablité sans fin (et épuisante) et une réalité invisible
Ce mode de vie instable, c’est épuisant. Mentalement, physiquement. On doit tout le temps changer d’équipe, se présenter, s’adapter, observer, comprendre les règles implicites de chaque école. Et derrière, il faut continuer à assurer face aux enfants, avec le sourire, même quand on se sent totalement paumé.
C’est une gymnastique mentale permanente. Il faut apprendre à gérer des classes dont on ne connaît ni les prénoms ni les dynamiques.
Mais ce qui me frappe le plus, c’est à quel point cette réalité est invisible. On parle peu de cette précarité-là. Pourtant, elle touche beaucoup d’enseignants. Et elle a un impact direct sur notre bien-être, notre motivation… et la qualité de l’enseignement qu’on peut offrir.
Parce que, oui, la motivation il faut parfois aller la rechercher très loin. Parce que, à quoi bon ? A quoi bon se tuer à la tâche et tout donner quand ce n’est pas valorisé ? Quand ça ne vaut rien ? Tu peux être la meilleure instit du monde, faire plein de trucs trop chouettes, les parents t’adorent, les directions voudraient te garder parce que t’es géniale mais en fait ils n’ont rien à dire et ça ne vaut rien. T’as fait ton bouche trou et tu dégages point. Peu importe si l’instit qui vient ou revient à ta place fait de la merde ou s’absente 150 fois sur l’année.
Sans parler des nombreux soucis niveau salaire
Encore une fois, on en parle tellement pas… sauf entre nous, « les pions ». On s’en fiche bien de savoir que tu es un être humain, que tu as (ou pas) des enfants, des factures, un loyer à payer. On te laisse littéralement dans la merde et sans aucun scrupule.
Tu changes d’école après le 12 du mois ? Ou l’école où tu es tarde un peu pour les papiers, ou c’est trop juste ? Bref, les documents ne sont pas arrivés là où ils doivent avant le 12 ? Tant pis pour toi. Tu ne seras pas payée à la fin du mois. Tu devras attendre la fin du mois suivant. Et débrouilles toi comme ça.
Tu n’as pas de poste pendant quelques jours / semaines / mois… perds toi dans la jungle de l’administration et amuse toi à courir dans tous les sens pour tenter de mettre en ordre la paperasse pour être payée par le chômage peut-être dans quelques semaines ou mois et débrouille toi entre temps. Mais n’oublie pas de les harceler de mails sinon on t’oublie. Tu n’oublieras pas non plus de t’inscrire comme demandeuse d’emploi sinon tu n’y auras pas droit. Dès lors, tu te feras convoquée très vite et devras prouver que tu cherches un job. Le fait d’être instit et d’attendre un remplacement ne suffit pas. On te reprochera de ne pas chercher autre chose, dans un autre domaine. Menaces à la clé.
Ton remplacement se termine avant une période de vacances et tu es ailleurs après ces mêmes vacances ? Bah tu ne seras pas payée pendant tes vacances (2 semaines de vacances, un demi mois chaque fois).
Tu n’as pas eu de poste non stop durant toute l’année scolaire ? Tu n’auras pas droit à tes vacances d’été payées. Tu devras tomber sur le chômage avec tous les mêmes soucis de paperasse en tout genre. Et si tu vis avec quelqu’un qui bosse bah tu n’auras droit qu’à un tout petit petit paiement parce que ta moitié reçoit un salaire. Tu as pourtant bossé comme toutes les autres instit et tu n’as pas voulu cette situation.
Je m’arrête là mais je pourrais continuer la liste des aberrances et injustices encore longtemps.
Et pourtant… je continue !
Parce que malgré tout, j’aime mon métier. Parce que quand un petit me tend un dessin en me disant “je t’aime madame Loyie”, ça vaut toutes les galères du monde. Parce qu’il y a toujours ce petit truc magique dans le métier. Un sourire, un câlin, un « Loyie est làààààààààààà! » qui me fait fondre même après des journées chaotiques, les enfants qui évoluent, grandissent, apprennent.
Mais j’aimerais qu’on parle plus de cette réalité. Qu’on reconnaisse les difficultés. Et surtout, qu’on change les choses. Parce que l’école, c’est pas censé être un sport de combat. Et nous, on est là pour transmettre, pas pour survivre.
Cette réalité-là, c’est celle de centaines de profs à Bruxelles ou ailleurs en Belgique.
A ceux qui galèrent comme moi: courage
Si tu es aussi dans ce flou, que tu cours entre deux trams avec ton cartable XXL et que tu doutes parfois : t’es pas seul.
On est beaucoup. Invisibles, mais bien là.
N’hésite pas si tu veux en discuter ou rajouter quelque chose. Que ce soit en commentaire ou message privé.